Rebondir sur l'article du Monde Diplomatique de septembre 2020 : "Lybie, le terrain de jeu" par Jean Michel Morel.
Par Noura Mebtouche.
Trois factions s’affrontent en Lybie.
En elles on retrouve la personnalité de l’ancien dirigeant Mouammar Kadhafi. Pas celle des débuts à l’époque où l’espoir comme ce fut le cas au Burkina Faso avec Thomas Sankara, en Algérie avec Ben Bella ou encore au Congo avec Patrice Lumumba, de pouvoir enfin gouverner son propre pays sans domination étrangère avec les meilleurs idéaux du monde, je veut dire celle du Livre vert, mais tel qu’il a été créé de toutes pièces par l’occident.
Ainsi, Khalifa Haftar en Cyrénaïque à Benghazi représente t’il cet idéal là et en tire il quelque légitimité dans un pays malheureusement très divisé. La Russie le soutient ainsi que certains pays arabes comme les Emirats arabes unis ou l’Arabie saoudite. La France elle, oscille suivant comme le reste de la communauté internationale l’autre partie à Tripoli, le gouvernement d’accord national, mais semblant préférer celui de Benghazi, fief des pro kadhafistes. Ce gouvernement d’accord national porte bien son nom, ce dernier reflète l’irrésistible tendance des occidentaux menés ici par l’Onu à vouloir à tout prix faire dominer leur vision des choses en ignorant délibérément la réalité du pays concerné et de la région qui va avec, ses moeurs, ses coutumes et son histoire.
Ce gouvernement d’action national donc semblerait être soutenu par les Frères musulmans, il en a du moins la couleur politique. Ceux-ci sont partout et s’immiscent dès qu’‘ils le peuvent dans les vides laissés par un manque d’action Politique à proprement parler.
Celle-ci ne peut venir que du peuple sévèrement brisé, et que l’on empêche de s’exprimer, se retrouvant à nouveau comme en Syrie ou au Liban pris en otage au sein d’un perpétuel conflit qui ne sert que le jeu des grandes puissances. Comme ils l’on fait pour le conflit palestinien. Les Frères musulmans se présentent comme des arbitres qui accompagnent le mouvement vers l’émancipation en douceur mais souvent ils ne font qu’envenimer les choses. Par exemple, ils légitiment ici les vues de laTurquie ici opposée à la Russie, qui cherche à retrouver les vestiges de son empire passé, celui où dans ce pays et les pays voisins elle régnait en maître.
On sait ce qu’a suscité les tentatives de Da Esh, poursuivant la nostalgie d’un grand empire sunnite. On en voit ici une des prolongations.
Au Sud, les milices selon le mot de Patrick Haimzadeh (« la Lybie aux mains des milices » « le Monde diplomatique, octobre 2012.). Sachant quela partie du nord et aussi plus au sud grouille de ces milices qui ne demandent qu’à se battre. Ces dernières semant le trouble dans le sud à loisir
On a ici une composante très représentative de tous ces pays qu’on a pas laissé se développer et organiser leur propre gouvernance et leur propre économie pour des raisons lucratives :
-Ceux qui se vendent à l’occident et aux grandes puissances (schéma très fidèle au schéma africain dans beaucoup de pays).
-Ceux qui campent dans une région en attendant d’envahir les autres et de semer le trouble en plus de celui déjà jeté dans la population.
-Ceux qui se tiennent encore debout et essayent de sauver les meubles. Le clan Haftar est de ceux là, cherchant à restaurer à la Lybie sa dignité et avec elle celle de tout le monde arabe ; ce qui explique pourquoi les Emirats arabes unis et et l’Arabie Saoudite sont de leurs côtés avec tous leurs moyens militaires.
Kadfhafi ressemblait un peu à chacun de ces trois composantes pendant son occupation de poste de dirigeant. Obligé de faire des concessions pour rester en place, jouant parfois entre deux groupes d’Etats afin de trouver sa place, mais en même temps à la tête d’un Etat où les troubles et les conflits internes étaient larvés car gelés par la dictature d’abord coloniale puis gouvernementale qui se sont réveillés aujourd’hui. Enfin, grand chef d’Etat, cherchant avec beaucoup d’hésitations tant les frontières entre les deux monde peinent à se définir, à faire d’abord une union du monde arabe, puis devant cet échec porté par « l’honneur de la Tribu » qui fait que ses règles échappent au commun des mortels, il finit par se résigner à abandonner au profit d’une lutte pour l’Union africaine ». Cette quête est la marque numéro 1 des conflits d’Afrique du Nord, le mal que l’on a à se définir, suite aux découpages du monde en 1919 (conférence de Paris) et après, puis après les indépendances, a laissé trop de questionnements en suspens. Pour y réfléchir de manière intelligente il faudrait considérer le monde de l’Afrique du nord comme une interaction, un angle droit entre Afrique et monde arabe et du Moyen- Orient. C’est ce qui fait la particularité de cette zone géopolitique. Lorsque les anciens empires se réveillent et cherchent à retrouver leur configuration d’antan surtout pour une Turquie qui a l’habitude que l’on cède à ses caprices, (Traité de Lausanne), cela vient ajouter encore davantage de mouse de chantilly sur le gâteau que tout le monde (du moins les plus riches), cherchent à se partager. Mais après avoir enlevé la chantilly pour éviter l’indigestion et mis le gâteau de côté pour plus tard (en oubliant pas la part du pauvre), on peut se retrouver soi-même et réfléchir à son identité profonde.
L’espoir et donc résolument dans le Maréchal Haftar et ses partisans, alliés et troupes, non pas pour faire la guerre, mais pour retrouver le sens du Politique en Lybie. Il suffirait pour cela que l’on puise , l’idée de Mouamar Kadhafi exprimée dans le livre vert des Comités populaires, reposant sur une configuration politique qui part du local avec une démocratie qui part du voisin tout proche dans le village, pour aller, grâce à des confédérations qui vont jusqu’à l’Etat jusqu’en haut du système de gouvernance, cette organisation pourrait calmer les esprits en place, car elle rejoue avec le passé historique et l’identité des territoires et donc des populations.
En local, on a pas le loisir de se diviser, on lutte ensemble et en fraternité. Le partage de la Lybie en trois factions se partageant trois territoires n’a donc pas de raison d’exister. C’est ce message là que l’ONU devrait propager notamment en direction du GAN, afin que ce dernier au lieu de s’opposer finisse par collaborer. Cela permettrait de remettre la Turquie à sa place moyennant des accords en visant néanmoins un partenaire privilégié sur le plan économique. La Lybie aurait aussi besoin de la Chine, afin de remonter son économie notamment dans le cadre d’une participation aux routes de la Soie. Enfin, les mercenaires occidentaux et leurs troupes notamment les français avec des organismes comme la Socopex devraient finir par partir du pays Lybien, peut être (et même sûrement) en étant habilement remplacés par quelques troupes militaires françaises venues y jouer le même rôle qu’au Mali avec peut être cette fois-ci, davantage de tact et de responsabilité, en partenariat, comme cela a été fait jusqu’ici avec les Emirats-arabes-Unis et l’Arabie Saoudite. Quant aux Russes ils ont déjà beaucoup à s’occuper sur leur propre territoire et avec leur voisinage proche.
Le mode tribal est universel c’est le seul mode de gouvernement qui permet la démocratie sur le modèle des Arch en Kabylie, tribus gauloises, Fokolonova Mivao à Madagascar) proclamé par le commandant Marcos chez les Zapatos et les Kurdes. Il y a un appel dans le monde à ce retour actuellement (du local au global).
Les milices sont apparues récemment, jusqu’ici on parlait d’une Lybie divisée en deux; ce territoire là quelque peu désertifié a fini par se remplir de troupes armées, comme une assurance d’une future guerre).
La stratégie du Jihad islamique chiite en Palestine, est de négocier et faire de la diplomatie pour que toutes les autres parties s’entendent autorité palestinienne, Hamas, Fatah. En fait il cherche à être de partout. Parfois, chiites et sunnites se confondent, par exemple le Hezbollah chiite commande le Hamas dit sunnite. Il faut donc se garder des divisions trop marquées ou de l’envie de créer des clans à tout prix. L’Arc Chiite et les frères musulmans qui sont du côté du GAN poursuivent sûrement les même intérêts. Leur nature et leurs intérêts sont très différents des musulmans de l’ Arabie saoudite (wahhabisme) et des Emirats Arabes Unis. Les premiers sont très politisés, révolutionnaires alors que dans les deux pays cités il s’agit plutôt qu’une revendication religieuse à tout prix, d’une couverture culturelle, bien davantage qu’un moyen politique. Ces Frères musulmans se rapprochent des mouvements politiques et révolutionnaire dits sunnites. Sous couvert de pratiques spirituels, il y a parfois une grande violence. Ils auraient pu aussi bien être ailleurs mais là ils soutiennent la Turquie et ne s’allient pas à ceux de l’Est.
Il faudrait remonter à la genèse du mouvement, et surtout se fonder sur des musulmans comme l’Emir Abdelkafer : franc-maçon et donc universaliste.
C'est le pouvoir des masses qui prime. La mouvance islamiste à vocation internationale qui s'appuie sur des tribus marquées par les liens familiaux et de violence se caractérise par le fait qu’elle exporte en Lybie, pays africain, son mode de positionnement par rapport au pouvoir reposant sur la violence entre tribus qui vient du Moyen-Orient alors qu’en Afrique, la tradition est à la gestion par la Paix et la démocratie. C'est ce qui avait inspiré chez Kadhafi, la Jamaryya dans son livre vert, celle des comités populaires censés s'administrer librement en local.
Cela est d’autant plus paradoxal que l’Islam a été crée au Moyen-Orient pour arriver justement à ce mode de gestion pacifique alors que les Tribus se déchiraient, dirigées par des chefs peu enclins à laisser parler leurs membres et donc ne respectant pas le règlement de fonctionnement de la Tribu.
C’est la Asabyya (solidarité mécanique), que la rencontre entre tribus rend organique en parallèle (confédéralisme), celle décrite par Ibn Khaldoun, celle de l’Afrique du Nord qui doit régner mais celle-ci au Moyen-Orient est murée par la violence transposée dans des pouvoirs nationaux coercitifs et totalitaires afin de lutter de manière superficiel à la tendance à l’éclatement dû aux tribus. Mieux vaudrait évoquer une tolérance par rapport au système tribal qui est aussi, il faut le reconnaitre, une composante de l’islam, même si celui ci se veut fédérateur (Médine était bien une Tribu).
Il y a également la composante amazighe, (5 ou 15 % le parlent).
L’amazighité présente dans tout le Maghreb et même plus bas (car la tradition et la définition se veut avant tout politique et philosophique et n’a aucune base religieuse, linguistique voire même ethnique dans sa forme la plus pure, elle est donc fédératrice). Elle peut donc constituer le filigrane dont la présence et la tradition ancrée dans l’antiquité de ces territoires peut sauver de la division. Elle est aussi présente au Machrek mais de manière beaucoup moins formalisée .
Là bas, c’est plutôt le fait religieux qui devrait normalement unifier là encore dans son essence la plus pure (démocratie et règles fondées sur le pacifisme et le respect de la Nature et des hommes entre eux) et non pas dogmatisme religieux et fanatisme.
C’est d’ailleurs pour cette raison que l’islam est né et a été centralisé sous Médine, pour apaiser la fureur des Tribus.
Mais aujourd’hui les dissensions entre elles qui remontent à très loin dans le temps et sont antérieures à l’islamisme subsistent et sont même ravivées par la disparition progressive des Etats autoritaires qui les maintenaient et étouffent les conflits et se doublent de surcroît de querelles de nature religieuse.
Aujourd’hui il y a coexistence de cette organisation, praxis et système de croyance tribal et modes de vie (asabiya : communauté soudée par le lien de sang ou une similitude de destins qui use d’une prédication (Da’Wa religieuse et politique comme d’un tremplin pour accéder au pouvoir total (mulk), dans les pays arabophones ce pouvoir est considéré comme le pouvoir naturel (tabi’i), il s’oppose au pouvoir politique (siyasi), celui des Etats), en croisement avec les identités religieuses (pas que musulmanes) qui elles aussi, sont profondément ancrées et revêtent une vocation identitaire aussi importante que la tribu, notamment pour l’islam. C’est de l’intersection entre ces deux mouvances qu’il faut partir pour guérir ces pays des troubles.
Pour garantir leur pérennité économique, les Etats ont été contraints d’abdiquer leur autonomie politique, en se soumettant à ce pouvoir naturel maintenu par la violence.
Dans des pays comme la Syrie ou l’Irak, contrairement au Liban qui est un Etat jeune dans lequel la tribu n’est pas profondément ancrée dans l’histoire, les différentes familles tribales doivent être présentes et reconnues à égalité dans la Constitution, alors que, au Liban par exemple, ce sont les confessions religieuses qui y figurent. C’est le meilleur moyen d’éviter que l’entente ente elles, gênée par des siècles de querelles sur lesquelles s’est greffée la querelle religieuse (schismes dans l’islam) ne soit tempérée par un pouvoir autoritaire.
Cela demande un effort de réconciliation, sur la base des tribus avant l’islam, l’insurrection réelle ne pourra se faire que dans l’unité.
Au lieu de procéder à la construction d’une élite nationale, la révolution fonctionne par cooptation d’élites locales, de même que le développement des relations politiques se fait par le transversal.
On a donc un pouvoir central et autoritaire, centralisateur qui, faute d’avoir crée une cohésion nationale, s’est laissé submerger par des coalitions et des intérêts transversaux.
Ce sont les occidentaux qui ont crée cet état de fait, en fondant la création des nouveaux Etats sur les minorités souvent religieuses et confessionnelles. La vraie insurrection , fraternelle, pacifique et émancipatrice devrait donc se faire, maintenant que le pouvoir autoritaire, n’est plus, contre ces puissances grâce à des actions de nature pacifique et cohérente par exemple fondées sur le réseau nouvel alignement (ou non alignement réel).
Ce dernier est formé de liens culturels, humains, économiques, marchands, artistiques et prend sa source sur le bassin méditerrannéen. La Lybie devrait en être un des bastions.
Le tout forme une coalition non formalisée ni institutionnalisée qui devrait renouer d’une façon moderne, c’est à dire sans coûts de transactions liés au non respect du droit avec les anciens réseaux traditionnels présents dès l’Antiquité.
Le processus a déjà commencé grâce aux liens incessants entre territoires du pourtour méditerranéen et aux efforts menés par les réseaux associatifs et mouvements sociaux que Pierre Bourdieu décrit Dans Contrefeux (2 ou 1) (ce qui est valable pour l’Europe l’est aussi pour la méditerranée), mais aussi grâce aux initiatives de nature institutionnelle.
NB. La situation Lybienne en matière de composante ethnique, sociale et tribale est très comparable à celle de La Syrie c'est aussi sur cette base que, tout la famille Assad a pu composer avec les tribus , le processus démocratique devrait se délier si des concessions se faisaient entre les parties en place au profit de l’héritage l’aisé par les dirigeants antérieurs.